Que reste-t-il des surréalistes?
(extraits d'un article écrit par Michel Maffesoli, professeur de sociologie, auteur de "Homo Eroticus")
........ Nous ne prêtons jamais assez attention au mot même de "surréalisme". Il nous rappelle que le réel ne se réduit pas à la réalité, qu'il est bien plus riche que ce principe de réalité à courte vue et déconnecté de la société que brandissent les politiques, les universitaires, les économistes ou les journalistes. Car ce qui fut l'apanage des surréalistes c'est l'idée que la vie sociale est toujours d'abord portée par une dimension de surréel ou d'irréel, la religion, par exemple pendant longtemps......on ne peut pas réduire l'existence à un plan d'épargne logement. Il est d'autres exigences : l'amour fou de Breton, la vie festive, la dépense chère à Georges Bataille. Autrement dit, ce qui compte c'est le prix des choses sans prix...... ce qui se déploie à travers l'idée que c'est bien plus beau lorsque c'est inutile.
La toute puissance du rêve, le jeu désintéressé, ce que le "Manifeste du Surréalisme" a promus, est aujourd'hui au fondement de la culture du virtuel sur le web, dans les jeux vidéo ou à travers les mondes imaginaires du cinéma. Il s'opère à travers les technologies numériques un véritable réenchantement du monde ..........sur le web, 70% des pseudos féminins sont utilisés par des hommes. Celui, dont la réalité physico-chimique est masculine, va pouvoir laisser libre cours à ses fantasmagories, se défouler réellement. C'est cela la virtualité : une perte de son identité stable et étroite dans quelque chose qui nous dépasse. Un apprivoisement quelque peu païen de l'entièreté de sa personne, que les surréalistes, déjà fascinés par le cinématographe, avaient anticipé. Guy Debord (écrivain, cinéaste et poète 1931-1994) est à l'origine de l'un des slogans les plus connus de mai 68 : "ne travaillez jamais!" Mais ce mot d'ordre, souvent mal compris, n'est pas une éloge de la paresse. Ce que Debord propose, c'est un glissement du travail vers la création. Et une capacité à intégrer le rêve, le jeu, l'intuition à notre action. Autant de paramètres que le travail salarié a évacué par souci d'efficacité, et qui reviennent ! L'idée s'impose que je serai, par exemple, meilleur manager si je sais faire des confitures ou jouer de la musique, si j'ai donc cultivé les capacités des sens, du corps vivant. Guy Debord aimait cette formule : "La vie, ce huitième art".